En français, on dit ‘C’est du chinois’ quand on veut exprimer l’idée que ce qu’on a entendu ou lu était juste tellement incompréhensible. Il y a quelques centaines d’années, on disait ‘C’est de l’hébreu’. En anglais, on dit It’s all Greek to me. En suédois, on dit Det är rena grekiskan ou Det är rena arabiskan (‘C’est du pur grec’ ou ‘C’est du pur arabe’). On pourrait déduire de ces expressions – et il y en a plein d’autres – qu’il semble toujours y avoir un consensus à propos de quelle est la langue la plus difficile à apprendre pour une population à un moment donné.
Bébé enseignant sa langue à un adulte
Maintenant, bien sûr, aucune langue n’est difficile en soi. Les bébés les apprennent bien ! Chaque langue est une addition de petites informations qui forment un grand puzzle. Le puzzle est grand – énorme –, mais vous devez juste être persévérants et ajouter une petite pièce du puzzle après l’autre jusqu’à ce que vous puissiez sortir une petite phrase puis une autre. Les langues ont beau avoir plein d’exceptions à leurs règles grammaticales, vous n’avez pour autant qu’à apprendre les règles, leurs exceptions et ensuite à les utiliser toutes le plus négligemment possible. Ca prend du temps et des efforts, mais c’est tout ce qu’il y a à faire vraiment.
Ceci dit, il y a des langues qui présentent plus de difficultés dans un champ grammatical ou un autre. Ces difficultés se trouvent principalement au niveau de la grammaire. Voyons un peu de quoi il s’agit.
I. Les champs grammaticaux les plus difficiles
L’ordre des mots
Les linguistes classifient les langues en six catégories principales. De la plus à la moins utilisée, ces catégories sont: SVO (Sujet / Verbe / Objet), SOV, VSO, VOS, OSV et OVS. L’anglais par exemple appartient à la catégorie SVO, ce qui veut dire qu’habituellement (pas toujours, loin de là) les gens construisent leurs phrases en mettant les éléments grammaticaux appelés sujets en premier, ceux appelés verbes en second et ceux appelés objets en troisième. Bien sûr, nous pratiquons cette gymnastique mentale sans même y penser. C’est quand on commence à apprendre une langue qui a un autre ordre de mots que celui de notre langue maternelle que cette habitude se fait remarquer. Cependant, la gymnastique en question ne consiste vraiment qu’à répéter un schéma de phrase assez souvent pour que la méchanique devienne automatique. Ca peut sembler difficile au début, mais ça ne prend pas beaucoup de temps pour prendre la bonne habitude.
Les déclinaisons
Les déclinaisons sont à mon avis un autre animal entièrement. Ma première rencontre avec elles remontent à quand j’ai commencé à apprendre le latin à l’école (en France). Si je me rappelle bien, c’était toujours un cours obligatoire à l’époque. Eh bien, toutes ces terminaisons pour un seul mot ! Sept terminaisons pour un mot en fonction de comment j’allais l’utiliser dans une phrase. Plus sept encore pour les formes au pluriel. Une rose ? Rosa. J’ai acheté une rose ? Rosam. Les pétales des roses ? Rosarum. Mais ce n’était pas fini: ces déclinaisons ne marchaient que pour la catégorie rosa. Il y avait (il y a toujours, vous pouvez vérifier) quatre autres catégories de mots, chacune avec sa propre déclinaison. Plus quelques exceptions. Sans blaguer ! J’adorais l’école …
Jacques Brel chantant ‘Rosa’
Les genres
Les genres grammaticaux sont des catégories de noms qui définissent comment les autres mots, tels que les articles et les adjectifs, doivent s’accorder quand en interaction avec les noms. Un genre, une façon d’accorder les mots. Bien sûr, en français, on dit ‘Le jardin est vert’ (‘jardin’ est au masculin) et on dit ‘La maison est verte‘ (‘maison’ est au féminin).
Mais les genres grammaticaux existent en tous types de formes et de tailles. Pour commencer, les genres féminin et masculin ne sont pas des catégories si bien définies que cela. Des mots peuvent être féminins dans une langue et masculins dans une autre. Il n’y a pas de bonne ou mauvaise façon, c’est juste comme ça. Qui plus est, comme en roumain, certains mots sont masculins au singulier et féminins au pluriel … Dans quelques langues comme le turc ou l’indonésien – et, cela peut paraître surprenant, mais ces langues n’appartiennent pourtant pas à des sociétés qui sont présentement connues pour être les plus respectueuses des différences humaines – il n’y a pas de genres grammaticaux, pas de noms masculins ou féminins ni même de pronoms différenciés. Les hommes et les femmes sont désignés de la même manière, avec les mêmes mots.
Dans la langue africaine Supyire, surtout parlée au Mali, il y a cinq genres qui séparent les mots humains, les grandes choses et grands animaux, les petites choses et petits animaux, les “collectifs” (des mots tels que ‘terre’ ou ‘bonheur’) et les liquides. Dans d’autres langues, vous pouvez même trouver des genres pour ce qui se mange ou pour les longs objets.
Les systèmes verbaux
Comme le montrent très bien les trois groupes verbaux du français, les systèmes verbaux ressemblent parfois beaucoup aux déclinaisons des noms. Le système verbal en anglais lui est plus simple. C’est une des bonnes nouvelles que les profs n’oublient généralement pas d’annoncer à leurs élèves au cours de leur première leçon d’anglais: oui, il y a bien une liste de verbes irréguliers à apprendre par coeur, mais elle n’est pas très, très longue et pour le reste, les formes des verbes ne changent pas tant que ça; seulement un petit ‘s‘ à ajouter à la troisième personne du singulier au présent, un petit will à ajouter au futur, un petit suffixe ‘ed‘ à ajouter pour le passé et c’est à peu près tout!
Conjugaison à la française …
D’une manière générale, le plus d’informations est contenu dans les verbes d’une langue, le plus difficile elle sera à apprendre. Une langue qui répond à ce critère est la langue aborigène Matsés, parlée au Pérou et au Brésil. Elle requiert ses locuteurs à apporter des précisions tellement importantes qu’aucune autre langue que vous connaissez ne peut la concurrencer. Il y a en effet peu de chances pour qu’à chaque fois que vous utilisez un verbe, vous soyez déjà dans l’habitude de spécifier quand est arrivé ce dont vous êtes en train de parler et comment exactement vous en avez pris connaissance. Est-ce que c’était au cours de ce dernier mois, de ces dernières cinquante années ou même avant ça ? Et est-ce que vous étiez là quand c’est arrivé ? Ou est-ce que vous avez une preuve de ce que vous rapportez ? Ou ne faites-vous que présumer de la chose ? Ou encore, en avez-vous entendu parler par quelqu’un d’autre ? Vous ne savez pas ? Eh bien, c’est trop bête ! Parce que si vous voulez sortir votre première phrase en Matsés, même la plus simple, vous allez devoir spécifier les faits et vos sources en ajoutant de petits morphèmes à votre verbe …
Et les petites précisions cardinales …
Guugu Yimithirr, parlé dans le nord-est de l’Australie par moins de mille personnes, est un autre spécimen intéressant si vous cherchez la langue la plus difficile à apprendre. Il utilise les quatre points cardinaux à la place des coordonnées égocentrées que l’anglais ou le français utilisent. Concrètement, cela signifie que les locuteurs de Guugu Yimithirr savent toujours où est le nord. Ils ont développé un sens spatial qui leur permet de vous indiquer sans jamais se tromper que les toilettes sont au sud-ouest (au lieu de sur votre gauche ou sur votre droite). Bonne chance avec cette langue-là !
II. La vitesse d’élocution et quelques subtilités de prononciation
Il n’y a cependant pas que des champs grammaticaux qui peuvent rendre une langue plus ou moins difficile à apprendre. Comprendre le langage parlé est un autre facteur qui entre en jeu. Pour commencer, nos oreilles peuvent prendre du temps à s’habituer à une vitesse de parole plus rapide. Certaines langues sont de fait parlées plus rapidement que d’autres. Vous pouvez aussi ne pas être habitué-e à certains sons. Différencier entre des sons qui se ressemblent peut être délicat. Le mot agujero par exemple, qui veut dire ‘trou’ en espagnol, est un mot qui doit encore passer d’une de mes oreilles à l’autre avant que je puisse seulement considérer essayer de le prononcer. J’entends bien que le ‘g’, le ‘j’ et le ‘r’ se prononcent différemment, mais tant que mes oreilles ne seront pas plus habituées à ces sons, je crois bien que je continuerai à les prononcer à la française (‘agu-urero’) …
Trois petites lettres en espagnol
III. Ok, ok ! Voici la langue la plus difficile à apprendre
Maintenant si votre but est de vous essayer à la langue la plus difficile à apprendre qui ait jamais existé, votre motivation est un autre facteur déterminant. Bien sûr, si votre motivation consiste à penser avec délice que vous avez choisi la langue la plus difficile à apprendre, alors là, bravo, rien à dire, à vous de jouer ! Si vous décidez par exemple d’apprendre une langue qui n’a pas de documents écrits à son actif, une langue qui n’est que parlée, vous en aurez choisi une difficile pour sûr. Et si vous voulez aller un cran plus loin encore, vous pouvez à l’inverse choisir une langue qui peut se targuer d’avoir des écrits, mais des écrits qui n’ont pas encore été déchiffrés. Vous pourriez alors déchiffrer l’écriture, le vocabulaire et la grammaire. Je n’ai personnellement jamais essayé cette méthode-là, mais ça doit certainement être la manière la plus satisfaisante d’apprendre une langue!
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